Pourquoi le changement climatique ne fait-il plus vraiment peur à Bill Gates ( ou à moi…) ?
Bill Gates et moi avons de moins en moins peur du changement climatique. Et il y a de bonnes raisons à cela. Analyse d’un repenti de l’alarmisme.

Bill Gates vient de publier un article consacré au changement climatique sur son blog. Il s’y montre, une fois n’est pas coutume quand il s’agit du climat, plutôt rassurant. Le très influent milliardaire y affirme notamment que le changement climatique “n’entraînera pas la disparition de l’humanité”, que “les êtres humains pourront continuer à vivre et prospérer”, et ce d’autant que “les émissions ont été revues à la baisse”.
Il ne se contente pas d’être rassurant. Il critique aussi les voix alarmistes, dont les “perspectives apocalyptiques poussent une grande partie de la communauté climatique à se concentrer excessivement sur les objectifs d’émissions à court terme, détournant ainsi les ressources des mesures les plus efficaces que nous devrions prendre pour améliorer la vie dans un monde en réchauffement.”
En relativisant la gravité du réchauffement, en critiquant l’alarmisme et en soulignant les vertus de l’adaptation plutôt que de vouloir à tout prix réduire les émissions, il reprend plusieurs des arguments avancés depuis des années par le camp des “climato-réalistes”. Ce qui est surprenant, quand on se rappelle que Bill Gates, qui reste par ailleurs financièrement et idéologiquement très investi dans la cause climatique, tenait un discours bien plus alarmant il y a quelques années à peine.
Ainsi, il déclarait gravement en 2021 que l’équateur serait probablement invivable avant la fin de ce siècle. Deux ans plus tôt, Greta Thunberg avait lancé avec colère son “How dare you!” aux Nations-Unies, prédisant l’apocalypse en cas d’inaction. A cette même époque, je militais au sein d’un mouvement activiste bien connu, Extinction Rebellion, et j’étais moi aussi, comme Bill et Greta, à ma très petite échelle, occupé à attirer l’attention du monde sur les risques du changement climatique, allant jusqu’à me retrouver à faire un sit-in dans les bureaux d’une entreprise de négoce de pétrole à Genève avec mes camarades.
Les choses ont bien changé, en quelques années seulement, pour Bill, Greta et moi.
En somme, plus personne ne semble y croire, ou en tout cas, on y croit beaucoup moins qu’il y a quelques années. Comment l’expliquer ?
Aujourd’hui, tandis que Bill renonce à l’alarmisme, Greta se consacre (admirablement, d’ailleurs) à une autre cause, la défense de Gaza, et ne parle plus tellement du climat. Quant à moi, c’est encore pire : j’invite carrément à parler, sur ma chaîne YouTube, des scientifiques qui font partie du courant des “climato-réalistes”, justement, comme les professeurs Judith Curry…
… et Eric Verrecchia :
Et il n’y a pas que Bill, Greta et moi, à avoir changé de priorité. L’alliance bancaire censée soutenir la politique du net zéro, la NZBA, vient d’être dissoute, l’investissement climatique intéressant de moins en moins le monde financier. Sur le plan politique, c’est pareil : la dernière en date des conférences mondiales, la COP 29, a fait un flop indéniable.
En somme, plus personne ne semble y croire, ou en tout cas, on y croit beaucoup moins qu’il y a quelques années. Comment l’expliquer ?
Revenons cinq ans en arrière. J’assistais, pour la première fois, à une présentation d’Extinction Rebellion. Les deux orateurs nous y expliquaient que, si l’on continuait à émettre des gaz à effet de serre au rythme actuel, suivant un scénario projectif aussi appelé business as usual (“on continue à faire pareil!”), la planète se réchaufferait, en 2100, de plus de 6 degrés supplémentaires par rapport à la période pré-industrielle de référence.
La planète serait-elle encore habitable en 2100 dans de telles conditions ? On pouvait en douter, d’autant qu’une pareille augmentation des températures pourrait déclencher, pour certains écosystèmes, des “points de bascule” irréversibles, conduisant, dans le pire des cas, à une “terre étuve” devenue hostile au vivant. Tout ceci, nous disait-on, était la conclusion des “scientifiques”, et en premier lieu, celle du GIEC, le groupe d’experts mandatés par l’ONU dont les rapports servent de référence depuis des années.
Le problème, c’est que ces conclusions s’appuyaient sur une interprétation spéculative des données scientifiques existantes, qui faisait notamment abstraction de la grande part d’incertitude. “La part d’incertitude”, c’est justement le titre du livre de l’ancien conseiller scientifique du président Obama, Steven Koonin, l’un des premiers à attirer l’attention sur la fragilité des hypothèses les plus alarmistes.
Et il n’est pas le seul : peu de temps avant lui, le journaliste Michael Shellenberger (“Apocalypse Zéro”) et l’économiste Bjorn Lomborg (“False Alarm”) avaient déjà développé une critique similaire. Ils seront suivis en 2023 par la climatologue Judith Curry et son “Le changement climatique n’est plus ce qu’il était”. Contrastant avec le profil habituel, caricatural, du climato-sceptique de droite vendu à l’industrie du pétrole, cette nouvelle vague de critiques s’avère plutôt centriste, sans conflits d’intérêts majeurs et soucieuse de l’environnement.
Ils présentent chacun une argumentation solide, qui s’appuie sur les publications scientifiques les plus récentes. Et tous s’accordent sur l’un des constats centraux de l’article de Bill Gates : si l’on se fie à une perception erronée, parce que trop alarmiste, des risques liés au climat, on risque de consacrer trop de ressources à la réduction des émissions au détriment d’autres problèmes qui sont prioritaires.
Le GIEC a d’ailleurs fini par l’admettre dans son 6ème rapport d’évaluation, le plus récent : le scénario autrefois qualifié de “business as usual”, celui qui faisait craindre les fameux 6 degrés supplémentaires en 2100 mentionnés plus haut, est désormais qualifié de peu plausible, et des ténors de la science du climat appellent à ne plus en parler comme du scénario par défaut. L’augmentation de la température moyenne en 2100 se situerait bien plus probablement autour des… 2 à 3 degrés supplémentaires. Pas de “terre étuve” en vue, donc.
Le message est clair: le risque existe, mais il n’est pas “existentiel”. L’humanité devra s’y adapter, mais elle n’est pas “menacée de disparition”. Bill, Greta, moi, mais aussi toutes les autres personnes que ce sujet avait bouleversées ces dernières années, sont invitées à respirer un bon coup. Peut-être d’autres questions méritent-elles aujourd’hui plus urgemment notre attention collective.
Le choix ne manque pas.
PS : ce billet m’a été inspiré par Martin Bernard, qui est en train de mettre en place un média indépendant de tout premier ordre, fruit de la fusion entre Antithèse et Bon pour la tête; je vous encourage à le soutenir.


